L’accord dicté par le Medef et signé par trois syndicats minoritaires (CFDT, CFTC, CFE-CGC), le 11 janvier 2013, tourne tellement le dos aux intérêts des salariés, qu’il serait incompréhensible qu’une majorité parlementaire de gauche, le transpose en loi.
Oui, il faut des négociations, des compromis, des « contrats », mais encore faut il qu’ils ne défassent pas défavorablement l’ordre public social - comme cet ANI. Le code du travail n’a pas besoin d’être assoupli : au contraire il a déjà été passé à l’acide des exigences du Medef pendant dix ans de droite. Il est trop souple, pas assez protecteur et doit être reconstruit, renforcé. Il ne faut pas davantage de flexibilité mais moins. Pour inverser la courbe du chômage en 2013, pour être « compétitifs », il faut davantage de salariés bien formés, bien traités, bien payés et non pas davantage de « flexibles ».
En étudiant l’ANI, le diable est dans les détails, nous avons distingué 54 graves reculs en 27 articles. Nous avons rédigé 54 premiers amendements, et cela ne suffit pas. Au lieu de faciliter les « mutations internes volontaires » comme à France télécoms, il faut restaurer les grilles de métiers, de qualifications, avec échelons, niveaux, coefficients, de façon à permettre à nouveau des carrières, des promotions dans des CDI redevenus la norme qu’ils n’auraient jamais du cesser d’être. Au lieu de faciliter les licenciements, d’autoriser des plans allégés, expéditifs, de suppression d’emplois, il faut une loi limitant à un quota de 5 % par entreprise le nombre de précaires possibles, et permettant un contrôle strict préalable des licenciements boursiers et abusifs par les IRP, les syndicats et l’inspection du travail.
En 1841, le député De Beaumont déplorait en chœur avec le patronat « le premier acte de règlementation de l’industrie qui, pour se mouvoir, a besoin de liberté » ; anticipait : « …il ne s’agit aujourd’hui que des enfants en bas-âge, mais soyez sûrs, un temps long ne s’écoulera pas sans qu’il s’agisse aussi de règlementer le travail des adultes ! » et redoutait surtout que l’application de cette règlementation puisse être un jour contrôlée par une inspection du travail « plus dangereuse que les grèves ». Depuis, chaque ligne, chaque mot, chaque virgule de ce qui, pour l’essentiel, est inscrit dans le Code du travail sont faits de la sueur, de la souffrance et du sang des travailleurs : du travail des enfants et des femmes à l’amiante, de la journée de 8 heures aux pesticides, des congés payés aux travaux du bâtiment, de l’embauche au licenciement, du « livret ouvrier » du XIXème siècle au « passeport orientation et formation » du XXIème.
Ce droit du travail, pour être essentiel, est de tous les droits celui qui est le plus méconnu, le moins enseigné et celui dont la violation demeure la plus impunie.
Or voilà qu’aujourd’hui on demande au Parlement de légiférer (le député De Beaumont protesterait avec véhémence), en procédure d’urgence, pour…le dérèglementer (le député De Beaumont admirerait l’évolution des choses) en transcrivant l’ANI de Wagram de façon « fidèle et loyale ».
Car, l’ANI ne fera pas un chômeur ni un précaire de moins, ni un emploi de plus.
Et à y regarder de près, ce que l’avant-projet de loi ambitionne en retranscrivant fidèlement l’ANI ce n’est pas la prise « à bras le corps » des « principaux enjeux de notre marché du travail » ; c’est de favoriser plus encore le glissement de celui-ci, depuis plus de trente ans, vers un marché des travailleurs, où règne la guerre de tous contre tous sous la pression du chômage et de la substitution progressive des qualifications, précises et collectives, par des « compétences » aussi arbitraires et fumeuses qu’individuelles.
Présenté comme « historique » par le MEDEF, il l’est assurément.
Et, pour en juger, l’histoire mérite en effet d’être convoquée car il s’agit d’un grand bond en arrière vers des époques qu’il serait cruel de dater. Le fondement du droit du travail est, contrairement au droit civil, l’inégalité des parties au contrat : le volontariat n’existe pas en droit du travail qui est là pour tempérer cette extrême inégalité, le lien de subordination qui contraint le salarié de l’embauche aux sanctions et au licenciement en passant par l’exécution du contrat de travail. C’est cette inégalité qui a entraîné la hiérarchie des normes qui lui étaient applicables : en bas, la loi, égale pour tous, que l’on ne peut enfreindre ; puis les conventions collectives de branche qui ne peuvent être que plus favorables aux salariés ; puis les accords collectifs dont le champ d’application est plus restreint (accord d’entreprise par exemple) et qui ne peuvent prévoir eux aussi que des dispositions plus favorables que les conventions précitées ; et enfin le contrat de travail, qui ne peut déroger aux normes précédentes que de façon plus favorable. Ce principe fondamental qui préserve les salariés a été écorné, à partir des années quatre-vingt, notamment pour la durée du travail.
Mais c’est la loi dite Fillon du 4 mai 2004 (reprenant, déjà, un ANI, de septembre 2003) qui l’a explicitement renversé ; suivie de la loi dite Warsman du 24 mars 2012 qui permet par accord collectif de faire moins bien que le contrat de travail. Sans être juriste, il suffit de regarder autour de soi pour voir que le droit du travail devient virtuel quand l’employeur peut ainsi s’affranchir de la loi, de la convention collective et même du contrat de travail (un exploit juridique historique, faire moins bien que le droit civil qui exige le respect du contrat par les deux parties).
Les amendements présentés viseront donc, pour nombre d’ entre eux, à rétablir cette hiérarchie des normes. Ce faisant, d’autres amendements – sur les contrats précaires et les procédures de licenciements collectifs pour motif économique - tenteront de répondre positivement à ce qui est censé être le but de la loi soumise au Parlement : la lutte contre le chômage.
A contrat inégal, justice particulière et contrôle attentif : depuis le XIXème siècle, les conseils de prud’hommes sont les seuls compétents pour juger de l’exécution et de la qualification de la rupture des contrats de travail et les agents de contrôle de l’inspection du travail se sont vu reconnaître par l’Organisation Internationale du Travail une indépendance par rapport au pouvoir politique dans l’exercice de leurs missions. Des amendements sont présentés pour réparer les graves atteintes à ces deux institutions et contribuer à améliorer leur fonctionnement.
Sur la forme
On ne peut faire l’examen de ce projet de loi sans dire un mot de la forme qui, en droit du travail est souvent indissociable du fond. Que dire de certaines formulations employées qui sont autant d’insultes à l’intelligence des salariés ? Ainsi, si l’on doit faire justice en rappelant que la transformation des plans de licenciement en plans « sociaux » puis en plans de « sauvegarde de l’emploi » sont à mettre au passif de gouvernements passés, on reste sans voix en découvrant que le chômage partiel est transmué en « activité partielle » (article 11) ; que les employeurs pourront de fait licencier impunément sous le couvert d’une « mobilité volontaire sécurisée » pouvant se conclure par une « démission » attestée…par la loi ! (article 3) ; que fleurissent des chimères juridiques, jusqu’ici impensées tant elles heurtent le droit en vigueur : des licenciements économiques… « pour motif personnel » par la grâce d’une « mobilité interne » (article 10), des licenciements économiques collectifs… « individuels » (article 12).
Une attention portée aux dates d’application des mesures prévues par le projet de loi permet de confirmer l’extrême déséquilibre de ce projet de loi : les mesures qui, sans y trop regarder, pourraient présenter quelque aspect favorable aux salariés sont reportées à des négociations aléatoires ou à de longs délais (articles 1, 5, 7) ; celles en faveur du patronat d’application légale immédiate (articles 3, 4, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18) et même anticipée comme on l’a vu avec des multinationales comme Renault.
Lisez l’ANI. Lisez les critiques de l’ANI article par article. Lisez les amendements à l’ANI, et manifestez le 5 mars à l’appel de la CGT, FO. FSU, Solidaires, - la majorité écrasante des syndicats. Puis parlez-en, informez, mobilisez autour de vous, courant mars et avril, il est possible de changer le cours des choses, empêcher l’ANI, imposer le retour du droit du travail, le blocage des licenciements abusifs et boursiers.
Gérard Filoche, membre du Burean National du PS, blog www.filoche.net et rédacteur en chef de « D&S », (Démocratie & socialisme, revue mensuelle papier, 21° année, site « D&S »).
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